lundi 1 avril 2013

PAGES ENVOLEES

         


             MON   ENFANCE


C'etait une vaste maison enfouie au milieu d'un bouquet de grands plants de letchis, au fond d'une allee perdue. Mes parents louaient une aile composee de trois chambres. L'autre aile etait habitee par la proprietaire, une veuve qui y vivait avec son perroquet.

Nos chambres etaient a l'ombre, et celles de la vieille etaient au soleil.  Une varangue ouverte, separait les deux pieces du devant.

La cour etait ancienne avec des fougeres abondantes, de nombreuses plantes vertes et touffues.

J'etais toute petite, peut etre deux ans ou plus, je m'en souviens encore, je portais une petite robe de toile verte.Je suivais ma mere partout. Elle etait mon soleil, ma securite. Elle devait etre jeune, mais pour moi, elle n'avait pas d'age.  Mon pere , je m'en souviens tres peu, car il etait poste a Madagascar. je ne le connus qu'apres la guerre, aussi etait il un etranger pour moi. 

Mon univers se bornait a ma mere, la servante, le perroquet, ma petite auto jaune et la cour pleine de mystere.

Le jour, je restais avec la servante, Je la harcelais pour m'emmener voir Jacquot le perroquet ouvrir les pistaches et dire "Merci".  Les chambres au soleil me fascinaient.  De meme la chaude presence de la vieille et la bonne odeur de la soupe mijotee.

L'acces aux salles de bain, situe au dehors, m'y etait defendu, excepte pour le bain journalier.  Et cela m'intriguait, car j'aimais la nudite de ses murs, la bonne odeur du savon, et l'atmosphere de secret, aussitot la porte refermee.

Quel plaisir de sentir l'eau tiede couler sur mon corps .  Aussi  je retournais dans ma petite tete le pourquoi de cette defense.

Je ne me souviens guere de poupee, ni de jouets, et ma petite auto jaune donnee  un jour de Noel les remplacait tous.  Elle me permit d'explorer la cour durant les heurs douces de l'apresmidi.  Je faisais des tours et des detours sans fin.  Je m'arretais a chaque grosse touffe, scrutais les  petits coins d'ombre, m'interrogeais sur les tas de feuilles mortes, les petites betes qui s'y cachaient et qui y vivaient  Pour moi c'etait tout un univers qu'il me fallait decouvrir.

Des fois je rodais furtivement jusqu'a la dependance de la servante, recouverte de chaume, et guettais son invitation.  C'etait "Allo,  vini  ti mamzelle, entre vite!. ".  Toute heureuse , j'abandonnais ma petite auto, et me glissais dans la maisonnette.  C'etait  une vraie   maison de poupee, les chambres etaient si petites, les murs tapissees de pages de journaux ou de catalogues pleins d'images., et  le sol  recouvert de bouse de vache. Curieuse, j'inspectais les coins et recoins, sensible a l'odeur du linge frais et de cendre fraiche.  J'aimais la chaude ambiance  des tapis et rideaux de toiles indiennes, ces mille petits rien aux couleurs vives  qui  emplissent les coins, les embellissent,  invitant l'etranger a fureter du regard et a rever.

Les fougeres luxuriantes  suspendues et poussant aux abords du seuil  un instant nous font oublier  par leur beaute l'amere condition de l'habitant.

Les dimanches, j'accompagnais ma mere a la messe de 5hr. Je revois encore la blanche boulangerie avec son four rougeoyant et grondant.  On faisait queue pour le bon pain chaud ou le macatia chaud qu'on allait deguster ensuite a la maison.

Puis un jour, j'eus un petit frere, je me sentis alors terriblement frustree. "D'ou sort il , celui la ?"
Un soir n'en pouvant plus, je suggerais a ma mere de se debarrasser de lui en le jetant dans les latrines.

Quelle horreur!, J'eus alors conscience d'une enormite. Ma mere me fit la morale, je me tus.  Le  jour, je regardais longuement le bebe,  bientot je commencais a essuyer son pipi.  Ce fut mon premier geste d'amour, je l'aimais, j'avais grandi.

Un jour ma mere parla de quitter la maison et nous allames habiter un certain temps chez la tante de mon pere.  Quel calvaire!.

La maison etait trop grande pour moi, je m'y perdais tout le temps, je pleurais souvent. Ma mere n'en pouvait plus, car je la suivais partout jusqu'aux toilettes.

Et le soir, quel cauchemar a table!, une tante voulait a tout prix me faire manger des oignons et la pelure de pomme d'amour, je pleurais , je crachais , j'en faisais tout un drame.  Mon grand oncle prenait ma defense, mais la marraine de mon pere  marmonnait : "Tu la gates trop cette enfant!."

Les bonbons faisient mes delices,et je n 'en  avais que rarement.  Mon grand oncle, dont je craignais l'aspect austere et les cheveux blancs, des fois m'invitait dans son antre sombre,  Je me tenais alors precautionneusement sur le seuil de la porte, prete a prendre la fuite a la moindre alerte.  Il ouvrait lentement une corniche, retirait un gros bocal, et disait ;"Choisis mon enfant!". J'avancais une petite main d'oiseau, saisissais  mon bonbon, un petit merci, et hop!, je disparaissais.

                                                                       

                                                         MES  ESCAPADES ET  JOIES 

Mon grand plaisir , c'etait la grande cour avec  sa longue allee de vieilles filles.  J'aimais leurs couleurs vives et leur parfum poivre, et je passais mon temps a les effeuliier.  Elles se penchaient sur le sol, laissant tout juste un petit tunnel a ma taille.  Mon esprit d'aventure me poussait a aller y voir de plus pres.  La moindre partie de cache cache y  etait   pretexte, J'aimais le bruissement des feuilles mortes, l'odeur musque des fleurs , le clair obscur empli de mysteres et les piquants qu'il fallait eviter.. Je rampais, je rampais jusqu'a la lumiere et recommencais, jusqu'au jour ou je mis le genou sur une boite de corned beef,

  Mais je n'avais pas fini de faire des miennes.

Encore des bonbons.  Je n'avais toujours aucune conscience du bien et du mal.  Un jour, un billet d'une roupie trainait sur la table.  Personne dans la chambre, le billet devient mien, et a moi mes jambes.  Je ne sus combien de temps je marchais, et je me  rappelle donnant le billet toute tremblante au chinois du coin. "bonbon!" lui demandais- je.  Il prit toute la monnaie et me tendit deux bonbons.  Sur le retour, le medecin de famille me ramassa en auto et me reconduisit a la maison.  Quel branlebas!. Ma mere furieuse m'admonesta une de ses raclees et me fit promettre de ne plus voler.  J'avais ma seconde notion du bien et du mal.

Cet evenement  decida ma mere a retourner vivre a Vacoas, La famille s'agrandissait. Je n'etais plus jalouse, au contraire je faisais la petite mere.  Je jouais au marchand de bazar ou au professeur avec pour eleves mes freres et soeurs, ou au besoin des personages imaginaires.

Un jour , je fus invitee a passer quelques jours chez ma grandtante.  La cour etait immense, mais le plus merveilleux , c'etait les nombreuses rigoles ou coulait  presque toujours  une eau qui semblait limpide.  Quelle aubaine!  L'eau etait si douce et fraiche au toucher.  Le cabinet de toilette, je m'en donnais a coeur joie.  Et les adultes qui poussaient des cris d'orfraie en me voyant.
Qu'ils etaient betes , eux qui ignoraient ces plaisirs.

Les douze perrons de la maison, je les grimpais et les redescendais a toute vitesse, jusqu'a la venue de maman Maguy, severe dans sa robe noire , que tous les enfants craignaient.  Je la regardais venir avec son rotin, et je m'enfuyais hors de sa vue.

A cette epoque, mon grand oncle  etait  toujours en pyjama, car la terrible maladie le minait deja, il aimait   beurrer ses miettes de pain, les posait ensuite dans une assiette et les devorait une a une.  Gourmande, je suivais les miettes appetissantes de l'assiette a sa bouche.  Le bonhomme sidere  a ma vue et tout honteux m'appela;  heureuse, je m'assis sur la chaise,  "Ouvre la bouche!.', me disait il , et   la mie au beurre fondant disparaissait une a une dans ma petite bouche.

Honteuse de mes exploits, ma mere decida d'attendre que je fus plus raisonnable pour faire des sejours.

J'eus bientot 3 ans. Il me fallut aller a l'ecole.  Quel cauchemar!..Quitter ma maman et voir tous ces regards d'etrangers, fixes sur moi, et ce professeur avec son rotin. C'etait la grande scene chaque matin, jusqu'au jour ou je declarais tout de go que j'aimais le petit garcon aux joues roses.  Le tour etait joue.  Le lendemain, ma mere  mit ma main dans celle du petit garcon et n'eut plus de souci a ce jour.
Comme recompense , les vendredi, l'institutrice nous emmenait a l'arriere cour, ou nous pouvions a loisir cueillir framboises, cerises, olives.  Pauvres enfants!  Comme il suffit de peu de choses  pour nous rendre heureux.

A la maison,ma mere suivait mon instruction avec anxiete, car je n'aimais guere l'assuidite, je bougeais tout le temps  et aimais  revasser.  Grace au petit rotin de peche, je fis de rapides progres.  Comme reccompense, elle me permit de passer un week end chez mes cousins.

J'entrais dans le monde merveilleux des grands et je me sentis tout a fait a ma place.  On m'aimait. Le soir,je  m'y asseyais a meme le seuil de la petite office cuisine, et la les menus faits de la journees etaient racontes avec force details et humour.  Je me faisais alors toute petite.  Je riais quand on riait, J'etais heureuse.

La soiree se terminait au lit entre mes cousines, avec des histoires de fee et de prince charmant ou je m'incorporais avec delice.

Car je m'y voyais en princesse charmante attendant mon beau prince.  Ce fut le plus grand reve de ma vie. Aimer et etre aimee.

Chaque matin, ma tante me reveillait en me portant au lit un bol de the, c'etait  un vrai bol , il etait a carreaux verts, jamais je ne l'ai  oublie.

 Aussitot, c'etait le declic!  Vite je descendais le  lit , les  pieds nus  je  me hatais  pour aller ramasser la premiere les oeufs que les poules avaient pondus  la nuit.

C'etait merveilleux!. Je connaissais tous les nids  , celui pres de la chambre de tante Yo, dans les fougeres pres de la varangue, autour du grand plant de letchis il y en avait trois, sous les feuilles rouges pres de la chambre de Charles, sous la citronelle, sous les fatacs pres de  la riviere.

Comme j'aimais voir Tte Yo donner a manger  a la volaille.  C'etait ravissant, de les voir toutes grasses, et bigarrees, avec leur petits venir picorer jusqu'a mes pieds.Elles avaient des noms charmants.  Les canards mani  pondaient a meme le sol, un vrai plaisir pour moi de les surveiller, et de ramasser leurs oeufs.

Et de plus , c'etait sensas, je pouvais rester en robe de chambre jusqu'a deux heures de l'apres midi.

Je n'en finissais pas.  Tot le matin, avant le reveil de la maisonne, j'etais dehors, faisant le tour de tous les arbres fruitiers, - tous frais de rosee-- jamalacs, goyaves, tamarins, jambrosa, longanes,letchis .
Tout y passait.  Courir dans le gazon avec les chiens tetow et tchou tchou Miniou, Marmaduke,  et enfin faire comme les grands, rever allongee dans l'herbe chaude et se laisser caresser par le soleil.

Bonheur de mon enfance, cousins et cousines si cheres a mon coeur.  Vous jouiez Chopin pour avoir le plaisir de me voir pleurer.  Je connaissais vos amours, vos revoltes.  Marraine qui veillait avec son rotin parceque Maryse revenait d'une surprise partie trop tard. Tonton Maurice qui faisait le tour du plant de letchis pour attraper le chien qui avait fait un degat. Le fameux cabri de Rodrigues avec sa belle rosette rouge qui broutait nonchalamment tout bilet de banque qui trainait sur la table, mettant la maisonnee  en emoi . Et la vieille carcasse d'auto abandonnee dans la cour  qui faisait voyager en imagination neveux et nieces.

La bibilotheque, comme j'aimais y fureter, C'est la que j'ai appris a aimer `Jules Verne, Pierre Loti. Le soir c'etait la veillee en famille , autour de la grande table de la salle a manger.. Tout le monde y conversait,  riait,  on se lancait des piques parfois. Marraine Ines , Tte Yo , marraine Evelyne, tonton Maurice les les 6enfants, tous etaient presents.  Et moi, qui y avais ma place. comme je me sentais importante.Une vraie joie..



                                                      LES  DEPARTS


Les ans passerent  trop vite
,La maison si belle, perdit tout doucement son bel habit., d'abord avec le cyclone Carol qui fit tomber tous les panneaux de vitres.  Puis  des enfants emigrerent.

 La campagne fut morcelee , les fougeres, les nids , la volaille disparurent.  Il y eut  d'autres  departs.  Ma marraine paralysee et aveugle en resta l'ame vivante jusqu'a sa mort, et j'aimais bien des fois m'asseoir aupres d'elle et faire un brin de causette.  Pauvre Tte Yo, elle qui tenait la bourse, avait peur de trop depenser, alors elle refilait les memes  legumes cuits a toutes les sauces a longueur  de semaine.  Joyce si douce en mangeait sans faire la fine bouche, mais mon cousin, ours mal leche, se faisait un malin plaisir de decrire les menus en societe.

Je me souviens de batailles epiques entre Maryse et Jean, quand il la tenait tout emoustille par ses longs cheveux et la faisait hurler de rage. Alors pour se venger, elle enfourchait de toute sa verve la Polonaise de Chopin, pendant qu'il apprenait ., il se mettait  alors  a l'accordeon et c'etait le duo infernal..., ou bien l'un  cachait un livre que l'autre lisait....., et la sarabande reprenait. Marraine n'en pouvait plus. "Je vais mourir!". s'exclamait elle.

Le salon etait a l'ancienne,  au milieu de la piece tronait  une petite table travaillee en cuivre, 
entouree de chaises de vienne.  Sur les deux pianos se trouvaient des cachepots en  cuivre, ainsi que des statues anciennes. J'aimais la belle glace de Venise ou je m'y voyais plus belle.  Et puis...   tresor!, tous les livres de musique de  marraine Ines et de ma grande tante Marthe.. Je guettais quand personne ne m'y voyait pour aller fureter,  Je voulais y retrouver un souvenir de Marthe, queque chose de sa vie, Car pour moi, c'etait impensable, que ceux qui ont vecu puissent disparaitre sans laisser de trace.  Mais helas, je restais sur ma faim  et  les cahiers grderent leurs secrets. 

Marraine Ines  etait toute toute blanche et tres vieille,  elle  avait fait une mauvaise  chute, qui eut comme résultat   une jambe  plus courte que l'autre.  Aussi  elle se mouvait difficilement.   Jean, adolescent  insupportable  comme beaucoup de jeunes de cet age,  la faisait  pousser des cris d'effroi, en prenant son cou dans sa badine.

Des fois il faisait mine d'ecraser une  guepe, prisoniere sur sa petite chaise,marraine Ines hurlait de peur.

Je me demandais, comment elle faisait , pour rester a la meme place, sans parler,  C'etait un enigme pour moi.

Misere de la vie! Le coeur a tant de richesse mais souvent personne ne pense a s'y arreter un instant pour aider a raconter. La source s'est tarie en elle.  Edmond avec ses petites bottes rouge  a du reveiller  tout ce qui lui restait de tendresse.

Ma marraine etant decedee et quatre enfants loin du pays, la belle maison coloniale  perdit son bel habit et dut etre demolie   ,  ., Tout  la belle campagne disparut,,  seul deux   grands plants  de letchis et de cythere  donnent encore leurs fruits, 

Une grande nostalgie me saisit le coeur quand j'y pense.

Merci chers cousins  Denise, Joyce, Maryse, Monique, Charles et Jean.  pour  vos histoires de fees,. les belles fetes d'anniversaire, tous les reves que vous m'avez donnes,

Merci pour  votre tendresse  pour  moi, votre petite caille.  Merci pour  tous les beaux souvenirs, les clairs de lune, la beaute de la vie que j'ai  pu apprecier avec vous. Merci pour tout ce qui m'a aidee a grandir.

Merci a marraine Evelyne et a Tte Yo pour tous les  petits bonheurs.

Mon amour pour vous et votre famille  est tellement vivant et si fort, que  Les echos de mon enfance resonnent encore  , et j'aime m'y arreter  un instant pour en feulleter les plus belles pages.




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