Elle etait la frêle, assise dans un fauteuil, sa canne proche d'elle,
un petit chale gris sur les epaules, ce qui ne l'empêchait pas de grelotter un peu.
Elle, c'est Micheline, avait quitte sa chambre spécialement pour m'accueillir, moi l'étrangère, qui desirais lui poser quelques questions sur la vie a cette epoque .
Je pensais que nous avions tant a apprendre de nos aines , qu'il fallait prendre le temps , savoir nous arreter pour leur parler; elles ont tant de richesses en elles, des souvenirs qu'elles désireraient peut être partager.
Aussi je n'ai pas hesite un instant, je l'abordais .
Tout de suite, je remarquais la ressemblance avec Manime , ma belle mere, les grands yeux etires vers les tempes, le meme petit nez, les memes grandes oreilles. Je lui en fis la remarque ; genee, elle sourit
mais semblait heureuse de ce trait familial.
Oui, Micheline attendait ce moment et désirait m'entretenir, mais elle s'excusa de sa maladie récente qui l'avait beaucoup fatiguée. Sa mémoire en avait pris un rude coup, et elle s'excusa de ne pouvoir peut être me donner satisfaction. Je désirais essayer quand meme.
Qui est Micheline ?…..
Elle, c'est la doyenne de la famille Darga, du cote de mon époux. C'est la mémoire de la famille.
Je voulais connaitre ce cote familial ignore des miens.
Micheline est la fille de Noe, charpentier, mécanicien, frère d'Elysée Darga (le grand père de Claude mon époux, mort a 102 ans,) lui meme tourneur tres experimente et menuisier a ses heures. Il faut dire que c'est une famille d'artisans tres douee pour tous les metiers, des debrouillards, ayant beaucoup de caractère, qui savent gagner leur vie. Ils sont vraiment de tous les bords.
La famille Darga est tres ancienne, elle remonte a Francoise Darga venant de Pondichery avec des travailleurs engages. Quels ont ete les evenements qui l'ont obligee a emigrer sous de telles
conditions ?, Quels drames ont marque sa vie ? Mais c'etait une époque sans pitié, ou les gens etaient souvent trompes par des etres sans scrupule, exploites, sans defense, entraines dans une spirale
de non retour. Mais c'est une famille tres fiere, et cette fierté a été transmise a leurs descendants.
(Je m'eloigne un peu du sujet. ... Que le lecteur m'excuse, mais cela vaut la peine d'etre dit) .
J'ai consulte un jour le site des travailleurs engages et j'ai pu voir le nom de Francoise mais aussi les noms de deux petits garcons , l'un nomme Louis et l'autre Louis d'Or. L'un n'avait comme toute possession qu'une petite pioche. Cela m'a bouleversee au plus haut point. Ayant lu beaucoup sur la vie a cette epoque, combien elle était dure; il fallait vaincre ou mourir, comment ne pas saluer leur courage et determination . Ils meritent tout notre respect, ces ancetres qui ont mele leur sueur a la terre de notre ile, en ont fait ce qu'elle est aujourd'hui. Quel chemin ils ont du parcourir !… Quels ont ete leurs sacrifices, leurs combats , pour pouvoir survivre, acquérir des connaissances et les transmettre aux leurs.
Les Darga possèdent tous la passion de leurs metiers, beaucoup meurent tres vieux, trouvant toujours a s'occuper jusqu'a fort tard dans l'âge , au jardinage, a l'elevage. .Ils jouissent d'une très bonne santé .
due peut être au travail manuel, et a la vie au grand air de leurs grands parents.
Micheline, elle est âgée de plus de quatre vingt ans.
Pour revenir a notre sujet, Noe , le pere de Micheline avait plein de frères dont Elysee, Camille (Dada), Henry, Theodore, Antoine. et des soeurs : Carmen, Lucie, Berthe, un demi frère Knubley.
Ils sont dissémines , habitent a Pamplemousses, Flacq, Argy, Pointe de Flacq. Ste Croix., et autres.
Que sont ils devenus ?…Elle ne le sait, . De ses petites mains elle fit un geste qui semblait dire: "Je ne sais! c'est trop tard pour moi !….."
Noe , lui a epouse une demoiselle Ng Kee Chong, orpheline de père et de mère a 13ans
qui vivait chez des connaissances.
"Elle était rude !. ..", souligna Micheline, apres un petit silence involontaire. Sa mere menait son monde a la baguette. Micheline se souvient des raclées qui étaient monnaie courante, mais ne gardait aucune rancune, C'etaitl l'éducation d'alors, toute le petit monde y avait droit.
Dans ces temps, pères et mères ne montraient guère leurs sentiments; peu de tendresse, c'était la dure,
mais peut être aussi, sa maman ne pouvait donner ce qu' elle n'avait jamais recu .
On vivait comme on le pensait, avec ses seules forces, son raisonnement, ses impulsions, son
intuition de femme. Pas de complication cerebrale. Les enfants non plus n'avaient pas droit aux réponses a leurs questions.
La vie était acceptee telle quelle, avec ses épreuves et ses joies. On la vivait jusqu'au bout.
Micheline est née en 1919 a Piton, puis bougea avec sa famille a Port Louis. Elle fit ses classes
jusqu'a la sixième a l'école du gouvernement, eut pour maitresse Mlle Rault.
"Micheline, quels sont tes souvenirs d ' enfance ? ., Qu' 'est ce qui t'a frappée vraiment ?. "
Mais, elle avait du mal a s'y retrouver ; sa mémoire lui faisait defaut, elle cherchait , faisait des efforts.. J'eus honte de lui causer tant de trouble. --- Peut être avant sa maladie !….
Soudain : "Oh oui !, cette grande inondation, qui emporta la maison. "
Micheline eut un moment de silence, ne voulut s'exprimer sur les difficultés vécues d'alors.
Je les devinais seulement; les paroles etaient inutiles , et je la respectai.
Epoque ou l'on cuisinait au bois et au charbon ; la petite Micheline comme toute fille de son temps
se devait de pouvoir allumer un feu et préparer le repas familial. Elle devint fort habile a cela.
Micheline avec une grand pudeur , me parla de la pauvrete de ce temps, ou avec 10cs, on achetait l'os de boeuf necessaire a la soupe familiale.
A cette époque, il n'y avait point de radio, de tele; pour passer le temps; toute les familles se régalaient des histoires du temps ' margoze ', de fantômes et de loups garous , qui fascinaient les enfants ...et leur faisaient battre le coeur. Tous y croyaient ferme et Micheline se memorait une nuit, ou une cavalcade se fit entendre sur le toit de la maison. Les aines rappelaient aux petits, qu'il fallait alors répandre des lentilles devant la porte, retenant ainsi prisonnier le loup garou ,qui se devait de les ramasser une a une jusqu'au lendemain , on lui faisait ensuite son affaire au malheureux.
Comment la famille passait elle ses moments libres ?
Le fameux jeu de loto rassemblait jeunes et vieux. La boule cascotte, le saut a la corde, les jeux de billes faisaient la joie des petits , ainsi que le 'kook cachette'.
Et les promenades au bord de mer. ?…
"Oh oui !, souvent on y allait. La mer était toute proche, ". On ne s'en privait pas, tout ce petit monde marchait alors jusqu'a la plage. C'etait tout un bonheur. Micheline souriait en y pensant.
Geste de sa mere, qu'elle ne pouvait oublier…. C'etait pendant la guerre, le riz était rationne. Mais, chaque jour, sa mère se faisait un devoir avant de laver le riz, d'en prendre une poignée, qu'elle gardait pour les temps durs. Cette habitude devait lui rester a ce jour.
Plaisir de la danse !…Les yeux de Micheline brillèrent un moment.--- le vieux gramophone,
le temps de la romance avec Tino Rossi, Georges Guetary, qui fit rêver toute une jeunesse de l'époque.
' Bal ran zarico !…., la coutume voulait que lors de la découverte d'un haricot dans une tranche de gâteau, le jeune homme devenait roi, la jeune fille devenait reine , ils choisissaient leur cavalier et se devaient de danser devant toute l'assemblee. Ils avaient ensuite l'obligation d'inviter tout ce beau monde dans les mois qui suivaient. Quel souvenir !..
A 25ans, Micheline epousa Mr Hippolyte, forgeron a Mon Desert Alma. Elle fut heureuse avec lui. Ils eurent cinq enfants: Francoise, Serge decedes, France, Hedley, Joseph. Aujourdhui veuve, elle habite avec sa petite fille.
Son humilite, sa modestie , sa réserve m'ont vraiment touchee. Micheline a du se dévouer beaucoup pour ses enfants, sa famille ; mais je notais qu'elle parlait très peu d'elle meme, de ce qu'elle ressentait, de ses combats, de sa vie meme; tout, elle les avait enfouis au plus profond d'elle. C'etait a nous de le deviner.
Elle souriait des fois, mais tout son être était marque par la souffrance et le poids de l'âge. Je lui etais reconnaissante de cet effort qu'elle faisait pour me parler.
Vous restez sur votre faim ? , moi aussi !…
Mais je suis sure qu'il y a une autre Micheline , que nous ignorerons toujours.---- Ce qu' elle nous a permise de voir , c'était une fille de son époque, toute simple , obéissante, respectueuse , très protégée par ses parents. Si elle se posait des questions ? ...surement…. Mais, dans le contexte qu'elle vivait,
il ne fallait pas trop réfléchir, car la ou on etait, c' était la, le bonheur. On vivait ses responsabilités jusqu'au bout, avec les joies et les peines. On faisait souvent taire son coeur et ses besoins. C'etait
la vie !,
De cette époque, bien de souffrances étaient volontairement gommées, certaines devenaient tabous.
Pade (Elysee) ne voulut jamais me parler de son père, ni de sa mère. Est ce la pudeur sur un passe
de souffrances, de pauvrete ? Ou bien n'y avait il aucune vraie relation entre parents et enfants,
ou bien encore en tant que fils, il était tellement occupe a vivre sa petite vie d'alors, qu'il n'a pas vu le temps passer et a omis de les connaitre vraiment. J'en suis triste a y penser. Je ne posséderai jamais de réponse, tout un monde est tombe dans l'oubli.
Ces souffrances de l'enfance ont elles été tues a cause des préjuges d'alors,d' une époque coloniale.
Ces souffrances marquèrent la vie de milliers de gens, qui ont choisi de se taire, afin de permettre a leurs enfants d'être libres, de connaitre un meilleur destin, une autre vie dans une société en pleine mutation.
Je vous salue tous, chers frères et soeurs, d'un passe pas trop lointain -----Vous avez tout mon respect.
Reposez en paix , vous le méritez bien.
Vos sacrifices n'ont pas été vains.
Vos enfants vous font honneur, aujourd'hui.. Ce sont des citoyens a part entière.
Merci Micheline pour cet entretien.
Tu m'as permise de visiter ton passe, ceux que tu as aimes le plus. Puisse la lecture de ces quelques pages toucher ta petite famille et vous aide a garder un heureux souvenir de ce temps oublie.
Je remercie aussi Jacqueline Domingue, née Darga ainsi que son époux Georges qui m'ont facilite cet entretien.
ARLETTE
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